Il y a quelques années, je photographiais un ami très cher, avec sa femme, ma fidèle amie de toujours ou presque, 32 ans d’amitié quand on en a presque 68 ans, on peut dire toujours, non ? Allez ! Oui.
Il est là avec nous, élégant comme il sait l’être, mais pas tout à fait complètement présent, un peu parti depuis quelque temps dans un monde différent du nôtre, difficile d’en trouver les portes, elles ne sont pas toujours ouvertes, parfois un éclair, un toucher et une porte s’ouvre. Alors, c’est juste un pur bonheur. Un moment à saisir !
Conscient mais pas vraiment des plus coopérant, il fait un peu le cabot devant l’appareil photo. Je mitraille pensant que les clics lui rappelleront une vie passée. Rien n’y fait.
Voulant lui faire sortir un sourire, un sourire que nous aimions tant, en lui rappelant l’espace d’un instant son univers passé, si loin pour lui, son épouse :
« Tu crois que Maryline, quand elle avait des séances photo, elle avait toujours envie de sourire ? Non, et pourtant elle, elle souriait à son photographe ! »
« Maryline, Maryline, mais je ne m’appelle pas Maryline »
Dit-il en éclatant de rire, assez fier de sa sortie, de ses mots, en regardant son photographe, sous le regard médusé et si touchant de sa complice de toujours.
Bien évidemment, entre larmes et rire, j’ai cliqué et recliqué à bonheur pour saisir ce moment si précieux.
Quelques années plus tard :
« Tu sais Jean-Yves, je crois que c’est la dernière fois qu’il a ri, et tu l’as saisi. »
Précieux cadeau.
Là où tu es, tu dois bien rire de ce moment bien espiègle qui te ressemblait tant.
Merci à toi.
Mercredi 31 juillet 2024, un couple arrive à la maison pour une séance photos.
Je ne les connais pas du tout, ou si peu. Je sais juste qu’elle est un peu dans le même monde, de temps en temps, que cet ami dont je viens de vous parler.
Arrive une belle femme avec son mari. Un beau couple.
Elle ressemble tant à Liliane, la mère de Lionel, mon petit frère de cœur parti si tôt, trop tôt. Elle « s’est enfuie » peut-être, pour ne plus souffrir de l’absence, depuis plusieurs années dans ce monde où nous n’avons pas accès, même si l’autre, l’ami, l’amie, l’être aimé parait être là, par le toucher.
Hier, en les recevant, tout remonte en moi. Je ne peux pas m’empêcher de voir Liliane devant moi. Aussi belle qu’elle.
Nous échangeons un peu avec son mari. Elle nous regarde. Se demandant un peu ce que nous allons faire ensemble.
« Rappelle-toi, je t’en ai parlé hier. Nous allons prendre des photos ».
J’abrège ce temps d’échange, pas très simple, je sens qu’il nous faut passer à l’action. Je ne sais pas à ce moment-là, comment, quoi, à quelle vitesse, la séance va se dérouler. Je leur fais confiance, à tous ceux qui doivent être là autour de nous, autour de moi. Je me fais confiance.
Après s’être changés dans la chambre d’amis, ils arrivent. Elle est magnifique dans une robe pleine de vie, de fleurs, le haut blanc ouvert vert vers son visage. Lui en chemise bleu clair. Ils sont parfaits.
Je ne sais pas s’il existe un appareil de mesure de l’émotion, mais là, je pense que je dois être dans le rouge. Comme souvent, vous me direz. J’ai envie de faire comme si tout se passait comme d’habitude, tout en étant attentionné au maximum. Je pleure au fond de mon cœur, tellement les souvenirs de mes amis m’envahissent.
Je me dois de l’aider lui à être lui-même, et non dans l’attention à 500 pour 100 envers son épouse, bien sûr, c’est normal. Elle, la bousculer légèrement, mais pas trop, ne connaissant pas ses réactions possibles.
Je l’invite à la prendre tendrement dans ses bras.
Je l’invite elle à lui prendre les mains. Le toucher. Essentiel.
« C’est lui qui sait, faisons lui confiance » dit-elle, me regardant, esquissant un sourire.
Wouaww, le contact est pris. Elle me fait confiance.
Je leur explique que je vais crier pour les aider à lâcher prise.
Vite ? Jean-Yves, dépêche-toi.
Elle est lovée dans ses bras, arrimée à ses mains, il la serre fort, avec affection.
Je crie. Surprise, elle rit. Sourit. Après l’avoir regardée pour se rassurer que tout allait bien pour elle, il me regarde souriant. Clic. Elle est là. La photo.
Ils partent. Me voilà seul avec mes émotions.
Appel à ma fidèle amie de « toujours ». Il me faut absolument partager ce moment avec elle. Avec lui.
L’après-midi, je trie les photos. Les regarde une à une. Et là, vers les dernières, au détour d’une petite touche sur mon clavier pour passer de l’une à l’autre, elle arrive, elle est là, ils sont là, tous les deux, présents, vivants et souriant. Moi, vous l’avez deviné, mon cœur déborde. Je suis si heureux de les avoir captés ainsi, pour eux, pour leurs fils. Je peux commencer à respirer.
Ils reçoivent les photos. Il me remercie avec émotion. Rendez-vous est pris pour la même séance l’année prochaine, afin de retenir le temps, un peu, quelque part.
« Merci pour vos mots. Je ne vous cache pas que cette séance m’a un peu ébranlé. Vous aussi j’imagine. Mais m’autorisez-vous à partager ce moment par écrit sur mon blog ? »
« Oui, bien sûr, avec plaisir ».
Et voilà, c’est fait. Je ne pouvais vraiment pas faire autrement.
Sans la photo, pour une fois. Vous ne m’en voudrez pas, j’en suis sûr. Je vous connais.