16 – Orazio Massaro

16 – Orazio Massaro

Orazio sonne à la porte de mon appartement un soir d’octobre 1985.

Il est danseur, mais pour le moment, il est surtout italien, plus précisément de Catania en Sicile.

Je veux apprendre l’italien, une amie commune nous met en contact, et le voilà qui débarque.

Les cours se poursuivent chaque semaine, et j’ai plutôt intérêt à avoir préparé les cours… 

Parlant un peu d’italien, nous prenons l’habitude de parler de nos vies, et il me reprend à chaque erreur… vous voyez un peu le rythme des discussions… 

Du prof d’italien, nous devenons très vite complices de soirées, de sorties en boite. 

Il est bien évidemment à cette bien sympathique fête pour mes 30 ans, où il fait la connaissance de mes parents, qu’il séduit avec son sourire, son regard et ses histoires…

A cette époque, j’acquiers mon 1er appareil photo. 

Nous prenons vite la précieuse habitude de passer nos samedis ou dimanche après-midi à faire des photos. Soit chez moi, soit dans les rues de Paris.

Qui ne tomberait sous le charme de ce regard, de ce sourire en coin ?

Et il le sait, le diable…

Nos séances se font chez moi, à la lumière du jour, aucun éclairage artificiel.

Orazio veut développer plusieurs cordes à son arc.

Il n’arrêtera jamais de développer toutes ces cordes.

Là il veut devenir comédien. 

Au quotidien, Il l’est déjà en permanence.

Tout est spectacle pour lui.

Rien ne peut simple.

Il a un esprit créatif que j’admire,

Que j’envie presque.

Je me souviens d’un réveil chez lui.

Vous savez le gros réveil qui tient avec deux petits pieds devant, 

Et deux grosses cloches sur le dessus pour l’alarme.

Il l’a trouvé ainsi,

Sans aiguilles,

Ou il les a coupées, les aiguilles,

Je ne m’en souviens pas,

Mais il le nomme,

ce réveil sans aiguilles,

avec un petit écriteau posé devant.

« Réveil pour les gens qui ont du temps à perdre ».

Je l’ai toujours adoré ce réveil,

Orazio, c’est aussi çà.

Il me demande de réaliser son book.

A cette époque-là, toutes les photos de son book sont les nôtres.

En 1990, je rencontre Diego.

Je vous raconterai l’histoire de Diego un autre jour.

Vous avez déjà admiré sa plastique sous les mains d’Antima dans « Histoire sans queues ni têtes. »

Deux siciliens danseurs de Catania, avec quelques années d’écart. 

Normal qu’ils se connaissent… un peu.

Un samedi après-midi, séance photo à trois.

Honnêtement, j’ai redécouvert cette photo en préparant cette histoire.

Je l’ai immédiatement envoyée à Diego, qui l’avait aussi oubliée.

Je l’adore, elle parle d’elle-même.

Ce jeu de regards…

Sacré Orazio… Sacré Diego…

Ce jour-là, Orazio commence à prendre l’appareil photo pour me photographier.

Alors, 

Que je vous explique,

une photo réalisée par Orazio, 

ce n’est pas tout à fait la même chose que par JY.

Autant, j’observe, on parle, et je saisis au vol tout ce qui est possible de « voler » un peu à l’autre.

Avec Orazio, il me façonne, il me dit où et comment me mettre, comment tourner la tête, à quoi penser, ne pas sourire… et il prend une photo toutes les 5 mn…

Je me souviens de certaines séances à venir ensuite, où il m’épuisait avant d’avoir appuyé sur le bouton…

Celle-ci doit être la 1ère, le jour où nous sommes là tous les trois.

Du coup, logique, il deviendra metteur en scène, notamment pour Maïwenn, qui dira de lui 20 ans plus tard :

« RENDRE À CÉSAR CE QUI EST À CÉSAR.

Lors du Festival de Cannes 2011, lorsque j’ai reçu le Prix du Jury pour mon film « Polisse », j’ai dit que pour moi tout avait commencé grâce au spectacle « Le Pois Chiche ». 

Troublée par l’émotion, j’ai oublié de remercier Orazio Massaro, le metteur en scène du spectacle, qui m’a dirigée d’une façon formidable pour que je dépasse mes peurs et réalise une performance d’actrice dont je ne pensais pas être capable. 

Sans lui, je ne serais pas arrivée là où je suis aujourd’hui. Je lui en suis d’autant plus reconnaissante car j’avais fait une première tentative de mise en scène de ce texte, écrit par moi-même, qui s’était soldée par un échec. 

Le succès de la version du texte réorganisée et mise en scène par Orazio Massaro, a changé radicalement l’image que les professionnels du théâtre et du cinéma avaient de moi, et m’a permis de gagner une confiance dans mes capacités artistiques qui m’a donné le courage de m’essayer à la réalisation de films. 

C’est en me voyant jouer dans « Le Pois Chiche » que François Kraus s’est décidé à produire mon premier long-métrage « Pardonnez-moi ». Cela a marqué le début de ma carrière de réalisatrice. 

Je remercie donc Orazio Massaro de m’avoir ouvert les ailes pour que je puisse m’envoler vers la réalisation de mes rêves. »

Maïwenn 

Mais nous ne sommes pas encore là,

Nous sommes juste deux jeunes trentenaires vivant notre vie à Paris.

Tiens,

Une photo avec une main… LOL…

un jour sans mise en scène… un regard apaisé…

Orazio me fait sortir du cocon de mon studio et nous parcourons les rues de Paris, les quais de Seine, le Marais, Place des Victoires, les Tuileries, St Germain des Prés, nous déambulons et clic clac, les photos ponctuent nos balades.

Ses cheveux poussent, les miens aussi…

Tiens, ce jour-là… J’ai eu le droit de sourire… LOL

Cela va faire 5 ans que nous nous connaissons, 

Je ne connais quasiment aucun de ses amis, de ses relations professionnelles.

Il y a son monde de danse, du spectacle, et … Orazio et JY.

Vous vous dites : « ils sont en couple ».

Non, pas du tout.

En effet, énormément d’amitié, d’affection entre nous, un jeu de séduction surement quelque part…

Un jour, nous avons un échange très drôle sur notre amitié.

Je me souviens très bien du tableau, Je suis assis sur les bords de la Seine, Orazio est allongé à côté de moi, sa tête sur ma cuisse.

« C’est rigolo, 5 ans d’amitié sans avoir dormi ensemble, alors que tu me plais beaucoup, il faut que l’on conserve cela et ne pas le détruire. »

Comme souvent, nous dinons ensemble, chez lui ce jour-là, refaisant le monde, car avec Orazio, on refait le monde tous les jours.

Le lendemain matin, au réveil, nous avons éclaté de rire. 

« Bon bien voilà, c’est fait »…

Ce sera la seule fois. Cela devait nous titiller tout de même.

Et qui n’aurait pas craqué devant ces yeux, ce sourire… ?

Il part pour Montpellier dans la troupe de Dominique Bagouet. 

Il danse au Festival International de Danse de Montpellier en 1990.

Je descends le voir, bien évidemment.

Nous allons faire des photos sur la plage.

Les plus belles photos de moi de toute cette époque, je te les dois, Orazio.

Nous arrivons en 1991.

Mes 1ères photos au Salon d’Automne au Grand Palais.

Diego est revenu de Rome. 

Orazio est là bien sûr pour le vernissage.

Ma mère et ma tante aussi.

Tous mes amis et relations professionnels sont présents.

1992, mes 1ères expositions dans le Finistère. 

Pour ce 1er dossier de Presse, 

Orazio m’offre un cadeau magnifique.

Je lui demande d’écrire un texte sur moi.

Il me connait parfaitement.

Il arrive un jour 

avec ce texte enroulé dans une feuille cartonnée,

Avec un beau ruban,

Un vrai cadeau…

« Jean Yves PITON,

C’est un homme passionné.

Ses photos sont à l’image de sa soif d’aimer.

Lorsqu’il agit 

Masqué par son objectif

Il transpire le plaisir d’être avec les gens.

Son désir profond

De rendre à la beauté

Son regard et sa lumière

Lui fait oublier qu’il travaille.

Pour ma part

Jean Yves 

Est plus qu’un photographe du besoin.

Il vit dans l’urgence de l’immédiat

Dans la nécessité d’être

Et d’exprimer son frémissement intérieur.

Son énergie nous déshabille

Et nous livre à nous-mêmes

Comme des nouveau-nés. »

Orazio MASSARO

A l’époque, je lis ce texte,

Un peu troublé,

Je mérite ces si beaux mots ?

Aujourd’hui, 30 ans plus tard,

je me dis…

C’est encore si juste,

Si précisément cela,

Si bien dit.

MERCI à toi.

Nos séances régulières continuent.

Ce samedi, nous passons Place des Vosges.

En sortent ces 3 photos,

J’en fais ma 1ère carte de visite en triptyque.

Originale, elle a son succès.

Un jour,

Dans cet appartement haussmannien,

qui voit tant de séances photos,

Le 3ème appartement qu’il connait…

On fait une séance,

Je dois rentrer dans un personnage qui réfléchit à sa vie…

Je suis en mode break – chomage,

Me consacrant à mes expositions

Pendant un an.

Oui, 

Il me pousse un peu à bout,

On fait les photos,

Mais moi qui suis toujours à positiver tout ce que je vis,

Ce jour-là, il me plombe un max…

A la même époque,

Je réalise une exposition dans cet appartement si propice.

Cette photo sert de carton d’invitation.

On vide tout,

On entasse tout dans la chambre de mon coloc en déplacement, 

Et tout le reste, le hall, le salon, la salle à manger, ma chambre,

Sont là pour accueillir mes photos aux murs,

Et,

Comme bon nombre de mes complices photographiques sont artistes,

Chanteur, danseur, comédien, peintre, sculpteur… 

Ils apportent chacun une œuvre que l’on expose près de leur portrait,

ou chantent, ou dansent ou… 

Orazio écrit une saynète qu’il joue avec 2 autres amis (modèles) comédiens. 

Le thème : 

un photographe aborde les gens dans la rue pour les photographier… 

Bien évidemment, je suis « légèrement » caricaturé. 

Ils auront beaucoup de succès,

On rit beaucoup,

Çà tombe bien, 

j’ai toujours eu un grand sens de l’autodérision.

Au-delà de l’ambiance très sympathique de cette soirée,

C’est très étrange de voir les amis découvrir les modèles, vivants…

« le mec qui est là en photo ?

Il est là ce soir ? »

« Bien oui, tu viens de lui parler à l’instant… »

Je ne peux pas m’empêcher de sourire en te regardant, Orazio.

Je t’entends rire…

Un jour, lors d’une de nos séances extérieures, 

Il se met à pleuvoir.

Orazio veut me photographier sous la pluie… 

il insiste… 

Il voit le côté « drama » de la situation…

Allons-y…

On voit bien que la séance sous la pluie me rend fou de joie… LOL

Les cheveux ont séché,

Mais j’ai toujours l’air aussi commode…

Oui, Orazio est partout.

Devant ou derrière l’objectif.

A me conseiller…

Il me bouscule, il m’adore,

il est plein d’attentions, de gentillesse,

Et…

Il est aussi capable de l’inverse…

Il ne vient pas au vernissage de l’une de mes expositions,

Alors qu’il devait venir, comme chaque fois.

Quelques jours plus tard, j’arrive à le joindre au téléphone :

« Tes photos m’ennuient,

Toute cette tendresse qui déborde,

Tous ces jolis regards, tous ces sourires,

Ce n’est pas çà la vie, Jean-Yves… »

Je ne toucherai pas à mon appareil photo pendant près d’un an.

Aujourd’hui, je me dis que sa vie dans ce monde du spectacle ne doit pas être simple…

Je lui pardonne,

Les amis se pardonnent…

Et nous recommençons à sortir, à jouer…

J’avoue que je ne suis pas fier quand il escalade les ponts comme le pont des arts,

Mais c’est un diablotin,

Qui ne tient pas en place.

la 1ère Jump ? ….

je te vois avec bonheur,

dans La Reine Margot

de Patrice Chéreau,

Les Morsures de l’Aube

d’Antoine de Caunes…

Mais nous sommes déjà un peu loin,

l’un de l’autre…

En replongeant dans les classeurs de planche contact,

Où il y en a un, 

que pour, toi, Orazio,

J’ai été saisi par ton regard, 

Ta force, ton envie, 

Une certaine « fureur de vivre »…

Je n’ai pas pu m’empêcher de penser à James Dean.

Non, pas vous ?

Je suis sûr qu’Orazio, là où tu es maintenant,

Tu écris une pièce pour lui et tu le mets en scène…

Çà doit être quelque chose vous deux…

Repose en Paix,

Merci pour tout, 

Merci pour Toi.

Je sais que tu n’es pas loin.

Ton ami JY.

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